The Blog Financial reform for EU citizen
Face à la montée des populismes et des nationalismes de tous poils en Europe, il est commode pour les États de faire porter le chapeau à une Europe qui serait comme « suspendue », sous l’emprise d’une bureaucratie sourde aux insatisfactions citoyennes face à des lois et des règlements perçus comme trop rigides et/ou déconnectés des attentes des peuples. En passant ainsi la patate chaude, les États se dédouanent un peu vite… Alors que le Parlement européen vient de voter fin janvier le fait de rendre public les rencontres des eurodéputés avec les représentants de « groupes d’influence », les États, ceux-là même qui font l’Europe, sont bien loin de s’appliquer une telle transparence dans leurs rapports étroits avec l’industrie et les « groupes d’intérêts ».
Des “dossiers” entravés par la proximité entre lobbys et gouvernements
C’est tout le mérite du dernier rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory « Les États capturés : les gouvernements nationaux défenseurs des intérêts privés au sein de l’U.E. » de pointer la responsabilité des gouvernements nationaux dans la conception, la mise en œuvre et l’approbation des législations européennes et de décrypter finement les canaux par lesquels l’influence des lobbys s’exerce sur eux et in fine sur les directives et règlements européens. Trop souvent, les États ne sont que les porteurs de valise des intérêts privés au sein des institutions européennes et cela dans la plus grande opacité. Le rapport du CEO jette une lumière crue mais salvatrice sur ces pratiques antidémocratiques. Il nous renvoie l’image d’États sous l’emprise d’intérêt privés qui font prévaloir les intérêts des industriels et des financiers aux détriment de ceux de la société qu’ils sont censés servir, faisant semblant de croire à la convergence entre ces intérêts privés et l’intérêt collectif.
Le CEO n’en est pas à son coup d’essai. Comme dans chacun de ses rapports, les analyses sont fouillées, les données sont nouvelles et dévoilent des canaux puissants et insidieux de capture des pouvoirs publics par de puissants intérêts privés, échappant aux radars du contrôle citoyen. Le focus est ici mis sur des institutions européennes cruciales dans la production des lois et règles européennes : le conseil, le conseil européen et les comités d’experts qui discutent les soubassements scientifiques censés fonder les décisions et les détails techniques des règles.
Or, tout à chacun sait que le diable est dans les détails… Des dispositifs institutionnels comme la présidence tournante, offrent des moments privilégiés aux États, maîtres pour un temps de l’agenda, de pousser des dossiers favorisant leurs champions nationaux.
Des « dossiers » pourtant plébiscités par les citoyens européens, comme l’interdiction du Glyphosate, la taxe sur les transactions financières, ou une politique climatique à la hauteur des enjeux, sont entravés, bloqués par la proximité entre de puissants lobbys et certains gouvernements. Ces derniers, s’en faisant les portes paroles, s’opposent à une politique européenne ambitieuse sur ces sujets pourtant indiscutablement d’intérêt public. Ainsi en est-il de la proximité entre les dirigeants allemands et l’industrie automobile ou entre le gouvernement français et les lobbys de la banque et de la finance.
La transparence : un impératif démocratique
Une évidence saute aux yeux à la lecture de ce rapport : les prises de décision publiques et leurs motivations souffrent d’un manque criant de transparence. L’accès aux décideurs et aux institutions dans lesquelles ils inscrivent leurs actions est totalement déséquilibrée au profit des intérêts privés de l’industrie et de la finance. Les ONG, syndicats et autres représentants de la société civile dans sa diversité ont le plus grand mal à faire entendre leurs arguments étant de facto largement exclus des instances où il faut être pour peser. Ces pratiques occultes ont une grande responsabilité dans la défiance que partout en Europe les populations expriment à l’égard de leurs gouvernants. Ces dérives n’ont pas de simples conséquences économiques, sociales et environnementales, elles minent nos démocraties au cœur, elles bafouent le pacte qui lient les électeurs à leurs représentants et qui fait société démocratique.
Parce que l’espoir ne peut naître que de l’action et jamais de la résignation, le CEO ne se contente pas de poser ce diagnostic lugubre et mortifère pour nos démocraties, il esquisse des solutions. Il s’agit fondamentalement de changer la culture de connivence et d’adopter des règles qui tiennent à distance les risques de capture. Comment ?
En assurant une transparence totale du lobbying, en renforçant le droit de regard des parlements nationaux sur les dossiers européens en amont des prises de décisions, en obligeant à rendre des compte (principes d’accountability) sur comment et pourquoi les décisions se prennent.
Le déficit démocratique que révèle cette emprise des lobbys sur les gouvernements appelle à une refonte en profondeur de comment fonctionnent le Conseil Européen, la Commission européenne et tous les comités d’experts qui influencent très en amont le façonnage des règles, règlementations et lois européennes.
En particulier, ils doivent s’ouvrir à d’autres intérêts que ceux des multinationales, les nominations doivent y être transparentes. L’ouverture des espaces de décision à la multiplicité des parties prenantes est un impératif démocratique. Une véritable culture des conflits d’intérêt doit être insufflée dans toutes les institutions européennes mises en cause dans le rapport du CEO.
Enfin, les citoyens qui trop souvent aujourd’hui se détournent de l’Europe pourraient de nouveau y voir leur avenir commun dès lors qu’ils pourraient se réapproprier l’agenda européen et peser sur les décisions. Pour ce faire il faut inventer de nouveaux modèles leurs permettant de faire connaître leurs positions et d’influer sur la ligne défendue par leur propre gouvernement sur tous les sujets européens : auditions participatives au niveau national, consultation en ligne etc.
Cette aspiration à une démocratie « en continu » n’est pas l’apanage des « gilets jaunes », elle anime aujourd’hui les citoyens européens de tous les pays membres. Y répondre serait sortir par le haut de la situation de vide démocratique qui ronge l’Europe et ses institutions.
Gageons que nos décideurs politiques nationaux et européens sauront se saisir de ce rapport et comprendre qu’il leur offre des options à même de recrédibiliser leurs actions et de revivifier la démocratie européenne aujourd’hui largement confisquée.
Pour aller plus loin :
- Les conflits d’intérêts, nouvelle frontière de la démocratie – Note de Terra Nova co-écrite par Laurence Scialom
- Une présentation vidéo par Laurence Scialom de sa dernière note sur le risque systémique : 10 ans après… Bilan des réformes bancaires et financières depuis 2008 : avancées, limites, propositions
- Interview d’Olivier Hoedeman : «A Bruxelles, il n’y a pas d’équilibre entre lobbyistes du privé et de l’intérêt public »
- Une présentation vidéo par Laurence Scialom de sa dernière note sur le risque systémique : 10 ans après… Bilan des réformes bancaires et financières depuis 2008 : avancées, limites, propositions
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