Finance Watch

BNP Paribas – L’histoire d’une dérive

In the News
Reading Level: Simple
Reading Time: 6 MIN.

Crédits images : Little Big Story

Ce 4 octobre a été une date importante pour BNP Paribas, première banque européenne. Pour la première fois, un documentaire indépendant retraçant son histoire et appuyé sur des dizaines d’interviews passait sur une chaîne de télévision (France 3).

En sept dates, Xavier Harel et Thomas Lafarge nous content « L’Histoire d’une Dérive », parfaite illustration de la dérive plus générale de la finance et dont plusieurs anciens salariés de BNP Paribas nous expliquent à quel point elle les navre.

Jérôme Cazes, ancien dirigeant de banque et président du comité Transparence et Indépendance de Finance Watch propose une synthèse éclairante du documentaire. (Voir aussi la version anglaise)

1993, Privatisation de la BNP : Le premier Ministre Edouard Balladur nomme son nouveau président, Michel Pébereau. Cet Inspecteur des Finances lui a été proposé par le précédent président, René Thomas, lui-même Inspecteur des Finances et l’un des parrains de ce corps de hauts fonctionnaires qui trustent en France les positions de pouvoir (Emmanuel Macron en est). On trouvera leur empreinte tout au long de l’émission. Michel Pébereau entame une course à la taille de la banque dans ses métiers traditionnels.

2000, BNP Paribas : BNP prend le contrôle de la première banque d’affaire française, Paribas. Elle lui apporte la taille et les métiers de la finance de marché qui lui manquaient. Dès lors, le poids au bilan de la finance de marché explose, multiplié par 6 en 8 ans.

2008, la crise financière : BNP Paribas, après avoir affirmé qu’elle ne serait pas concernée par les difficultés américaines, est la première banque européenne à devoir reconnaître dès aout 2007 que son exposition l’oblige à fermer trois fonds. Mais après la faillite de Lehman en septembre 2008, Michel Pébereau déploie son réseau d’influence. Conseiller occulte du Président Sarkozy et conseiller affiché de sa ministre des finances Christine Lagarde, il obtient un soutien sans limite des pouvoirs publics, qui permet à BNP Paribas en pleine crise de mettre la main sur la banque Fortis en Belgique et de réaliser des affaires extraordinaires quand tant d’autres sont aux abois : « nous n’avons jamais fait un mois aussi bon qu’octobre 2008 », raconte un responsable des marchés de l’époque.

2011, nouvelle crise financière : les banques européennes n’ont plus de dollars pour leurs opérations de marché. BNP Paribas est la plus touchée. Mais elle et ses consœurs sont sauvées par la Banque Centrale Européenne. Ces sauvetages bancaires à répétition pèsent sur l’endettement public ; ils n’empêchent pas Michel Pébereau de dispenser ses conseils de bonne gestion de l’argent public.

2012, arrivée à la présidence de la République du socialiste François Hollande. Il vient d’affirmer que son ennemi était la finance. En quelques semaines, Michel Pébereau démontre la puissance absolue de ses réseaux : la loi censée séparer la banque traditionnelle de la finance de marché sera vide. « Pour nous, aucun changement », explique avec un demi-sourire un responsable bancaire de l’époque.

2014, l’amende historique : BNP Paribas plaide coupable de viol de l’embargo contre le Soudan et paye une amende de 6,6 mds d’euros. La banque était devenue le banquier en position de quasi-monopole d’un Soudan en guerre civile génocidaire, soumis à un embargo ONU sur les armes et ne pouvant poursuivre ses achats qu’avec l’aide de son banquier. Jusqu’au bout, la direction de la banque croira pouvoir s’arranger « à la française » avec les autorités. En marge des cérémonies anniversaires du débarquement, François Hollande présentera pour le compte de la banque une supplique humiliante à un Obama glacial, rappelant devant les caméras qu’aux Etats-Unis la justice est indépendante. Une class action de rescapés soudanais est toujours en cours aux Etats Unis, accusant BNP Paribas d’avoir participé au financement du génocide du Darfour.

2015, l’évasion fiscale rattrape BNP Paribas : La banque est condamné aux Etats Unis pour avoir facilité l’évasion fiscale à travers BNP Paribas Suisse. Cette puissante filiale, première banque étrangère en Suisse, est particulièrement rentable car, comme l’explique un responsable, « le client n’est pas trop regardant sur les performances de son banquier, quand l’argent n’est pas déclaré ». Michel Pébereau a été à son conseil d’administration jusqu’en 2015, ce qui relativise encore ses conseils de bonne gestion de l’argent public. Malgré les nombreuses affaires fiscales qui l’éclaboussent, la banque ne sera jamais poursuivie en France. Plusieurs témoignages décrivent pourtant un rabattage méthodique vers la Suisse des candidats à l’évasion. On voit Baudouin Prot, nouveau patron de la banque, nier ce rabattage à deux reprises devant une commission d’enquête du Sénat. Mensonge sans conséquence, l’élue qui posait les questions n’ayant pas osé brandir ses preuves et le Sénat n’ayant pas osé poursuivre le banquier.

Combien de temps encore cette dérive ? conclut le film…

L’auditeur français répondra que cela risque d’être encore long. Le film n’a pu passer qu’en catimini à 23 heures 35, annoncé seulement quelques jours à l’avance pour limiter « les risques juridiques ». Aucun dirigeant de BNP Paribas n’a accepté de témoigner, aucun de ses cadres en activité n’a osé s’exprimer. Et aucun procureur n’a annoncé après l’émission qu’il ouvrait une enquête sur les faits révélés (comme on a entendu récemment le procureur de New York se saisir d’un article du New York Times sur une évasion fiscale bien plus ancienne de la famille Trump).

Jérôme Cazes, ancien dirigeant de banque, président du comité Transparence et Indépendance de Finance Watch

Make a comment ()
Finance Watch Subscribe to our newsletter

Subscribe to our newsletter

Receive our monthly digest in English, French or German