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Les leçons de l’histoire IV: La séparation bancaire (2/3) La véritable histoire du Glass-Steagall Act de 1933

Financial self-defense
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Cet article est le quatrième d’une série intitulée “Les leçons de l’histoire”, qui vise à fournir des éléments de contexte historique aux problématiques financières aujourd’hui.

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1913 Bond Issued by United States Steel Corporation (NJ) 1901 © Museum of American Finance, NYC

Le Glass-Steagall Act fut adopté par le Congrès des Etats-Unis en 1933. Il séparait les banques d’investissement des banques commerciales. Malgré son abrogation lors de la vague de dérégulation financière des années 1990, beaucoup de voix en appellent aujourd’hui à réinstaurer une telle séparation. C’est pourquoi il est important de se remémorer les raisons pour lesquelles les banques furent séparées à l’époque.

Au 19ème siècle, les Américains pensaient que le système banquier britannique constituait un modèle de sureté et d’efficacité. En Angleterre, l’évolution naturelle des marchés avait permis de distinguer clairement les banques d’investissement des banques de détail, car les activités d’investissement y étaient perçues comme fondamentalement risquées. Au contraire du continent, en particulier l’Allemagne, où les banques tendaient à être multifonctionnelles.

Diversification des activités bancaires dans les années 1920

Après la Première Guerre Mondiale, les banques américaines commencèrent à diversifier leurs activités en réponse à la concurrence des fonds fiduciaires. Aucun règlement efficace ne pouvait être mis en œuvre car les banques avaient le choix d’obtenir leur acte constitutif soit au niveau fédéral soit au niveau de l’Etat dans lequel elles étaient implantées. Cette concurrence, caractéristique du système bancaire américain de l’époque, permettait aux banques d’obtenir leurs actes dans les états les plus cléments. Cette pratique fut condamnée par le sénateur Glass (qui donna son nom au Glass-Steagall Act) : « En lieu et place de normes fédérales garantissant des banques sûres que les Etats auraient été amenés à suivre, nous avons introduit au sein du système bancaire fédéral plusieurs, et probablement la plupart des abus des systèmes des différents Etats, afin de permettre aux banques fédérales de concurrencer les banques régionales. »

Avec le principe de séparation de la banque et du commerce, présenté dans un article précédent, la détention d’actions était interdite aux banques, alors définies comme des institutions financières qui collectent des dépôts. Mais ce système présentait une faille de taille. Dans les années 1910, les banques commencèrent à créer des filiales, qu’elles possédaient à 100%, et qui échangeaient toutes sortes de titres. La séparation se vida dès lors de tout contenu. Cependant, les marchés financiers n’étaient pas encore trop développés et les régulateurs fermèrent l’œil sur ce procédé.

Pendant la Première Guerre mondiale, les marchés connurent une expansion rapide car le gouvernement avait besoin de financer l’effort de guerre et de distribuer des prêts à un large public. Durant les années 1920, le développement du marché des obligations permit aux entreprises de se financer directement en émettant des actions au lieu d’emprunter aux banques. Pour contrebalancer ce manque de revenus tirés des prêts, de plus en plus de banques se mirent à créer des filiales spécialisées dans l’échange de titres. En 1927, le McFadden Act autorisa officiellement ce système de filiales. Au cours des débats parlementaires, le sénateur Glass déclara : « Nous vivons à nouveau ce rare phénomène qui consiste à nous demander de légaliser une pratique qui a déjà été exercée sans l’autorité de la loi. »

La revanche du sénateur Glass

Encouragées par cette reconnaissance légale, les banques commerciales devinrent dès 1930 les principales… banques d’investissement. Le sénateur Glass, qui pouvait se targuer d’être l’architecte de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, fut atterré par le krach de 1929. Il pensait que son système suffirait à construire une structure financière solide. C’est pourquoi il consacra le début des années 1930 à réparer l’œuvre de sa vie.

Glass était bien conscient que réformer la structure des banques n’était pas la panacée. Il « ne se faisait aucune illusion sur la capacité de sa proposition de réforme à guérir l’économie de la dépression. Ses réformes étaient pensées pour la santé à long terme du monde financier et du pays dans son ensemble. Elles n’étaient pas censées réparer la crise actuelle, mais empêcher toute nouvelle catastrophe à l’avenir. Il était vraiment en dehors de toute dérive anti-business et a maintenu, tout au long de la controverse autour de sa proposition, ses relations avec plusieurs figures de proues respectées de Wall Street » [Perkins, 1971]. Le point de vue de Finance Watch est similaire : la séparation des banques ne résoudra pas totalement la problématique des banques « trop grosse pour faire faillites » mais y contribuera de façon majeure, ainsi qu’au bien-être général de l’économie (voir notre document « The Importance of Being Separated »)

Entre 1929 et 1933, Glass se batit pour surmonter les obstacles politiques et faire passer sa proposition. En 1932, il resserra l’étau en dévoilant que le Département de la Justice avait découvert que le système des filiales violait la loi fédérale de 1911 mais n’avait jamais poursuivi les banques. L’élection de Franklin Roosevelt en 1933 eut un impact positif. James Couzens, un ancien associé d’Henry Ford, apporta le soutien de l’aile progressiste du parti républicain. Mais les banques prétendaient qu’une séparation aurait un effet déflationniste en précipitant les ventes d’actifs. De plus « avec une économie déjà en dépression, ce n’était pas le moment de dresser des obstacles au rétablissement prochain du marché des titres » [Perkins, 1971]. Les banques utilisent le même type d’argument depuis 2008 afin d’éviter toute réforme fondamentale.

Cependant, lors des années 1930, Wall Street était divisée. J.P. Morgan & Co, qui était alors l’empire en déclin de la banque d’investissement, voyait la séparation comme une opportunité de se débarrasser de la compétition des banques commerciales agressives. JPM ne prit toutefois même pas la peine d’envoyer quelqu’un à Washington pour les débats, ce qui serait impensable aujourd’hui. Selon le Center for Responsive Politics, une ONG américaine, J.P. Morgan a dépensé $8.060.000 en 2012 pour faire du lobbying à Washington. Dans son ensemble, l’industrie financière a dépensé en 2012 $482 millions en lobbying, plus que n’importe quel autre secteur d’activité économique (http://www.opensecrets.org).

Une autre caractéristique intéressante du débat des années 1930 est que l’industrie des banques était incapable, ou ne voulait tout simplement pas, invoquer des arguments solides. « Les défenseurs du statu quo justifiaient l’arrangement actuel des services bancaires uniquement par le fait qu’il existait déjà et avait fait ses preuves. Tout au long du débat, ils n’ont jamais appuyé leur point de vue de manière théorique. » [Perkins, 1971]. Ils adoptèrent une stratégie qui paraît aujourd’hui tout à fait familière : ne pas rentrer dans le débat public, rejeter en privé une séparation comme “dangereuse pour l’économie” et pratiquer un lobbying intensif. La dernière fois, cette stratégie a permis de repousser les réformes pendant quatre ans et n’a cédé que quand la pression du New Deal de Roosevelt était devenue trop élevée.

Le Glass-Steagall Act fut donc finalement voté en mai 1933. Les banques eurent un an pour s’y adapter, contrairement au trois années prévues initialement. La National City Bank et la Chase National Bank avaient anticipé la loi : elles avaient déjà annoncé que leurs filiales spécialisées dans l’échange de titres seraient séparées dès mars. Le New York Times suggéra que c’était pour eux une manière d’éviter toute enquête approfondie concernant leurs activités de la fin des années 1920. Quoi qu’il en fut, le Glass-Steagall Act était un pilier fondamental de la régulation financière, jusqu’à ce qu’il soit abrogé lors de la vague massive de dérégulation des années 1990 (article à venir). Mais quelle interprétation lui fut donnée lors de son adoption ?

Le mythe du Glass-Steagall Act

En réalité, le Glass-Steagall Act en tant que tel n’existe même pas. C’est seulement le nom qui fut donné à plusieurs sections du « Banking Act of 1933 ». Sa disposition principale ne concerne pas la séparation des banques. C’est la création du Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), le système qui instaure une garantie gouvernementale des dépôts privés. La garantie des dépôts fut défendue par le député Henry B. Steagall (1873-1943). C’était une réponse aux paniques boursières et banquières alors fréquentes et destructrices, failles bien connues du système bancaire américain de l’époque. Aujourd’hui encore, la garantie des dépôts est perçue comme nécessaire à un système financier stable.

Le sénateur Glass était quant à lui fermement opposé à la garantie des dépôts. C’est en partie pourquoi il devint l’un des plus farouches opposants à Roosevelt. Contrairement au mythe d’un Glass-Steagall Act tout à fait cohérent, ce n’est que le fait du hasard si la séparation des banques et la garantie des dépôts retrouvèrent au sein de la même législation. Glass était issu d’un milieu intellectuel totalement différent de Steagall, intimement lié à l’atmosphère anti-monopolistique de l’époque et la dénonciation de la concentration du secteur bancaire. En 1971, un chercheur écrivit très justement : « la scission des banques commerciales et d’investissement a été quasi totalement ignorée à la fois par les historiens de la finance et les économistes» [Perkins, 1971]. Tout le monde a oublié les raisons de cette disposition. C’est pourquoi, comme l’expliquera le prochain article, la séparation bancaire paraissait complètement dépassée dans les années 1990, à l’heure de son abrogation.

Fabien Hassan

Pour en savoir plus sur le point de vue de Finance Watch à propos de la séparation bancaire aujourd’hui, cliquer ici.

References:

  • PERKINS, Edwin J. The divorce of commercial and investment banking: A history. Banking LJ, 1971, vol. 88, p. 483.
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