L’accord était attendu avec impatience par certains de nos Membres, qui avaient mobilisé des dizaines de milliers de personnes en Europe sur la spéculation sur les denrées alimentaires. Le texte adopté par les législateurs introduit un système de limites de position sur les dérivés sur les matières premières, qui a pour but de réduire l’influence des spéculateurs sur les marchés dont dépendent les prix de matières premières de base telles que le blé et le maïs.
Le succès de cette mesure dépendra de ce qui va se passer ensuite, mais le seul fait que nous puissions aujourd’hui en discuter montre que lorsque la société civile s’exprime d’une voie unie, nous pouvons pas à pas améliorer la réglementation financière de l’UE. Bien que de tels développements soient encore fragiles, il y a deux ans, nous ne nous attendions pas à pouvoir aller si loin.
Mais la MIF II ne concerne pas uniquement les matières premières.
Elle introduit entre autres des outils permettant aux autorités de surveillance des marchés financiers de contrôler le trading à haute fréquence et apporte des changements aux structures boursières.
Le succès dépend des décisions prises au « Niveau 2 »
Plusieurs des nouvelles règles ne seront réellement des succès que si elles sont correctement calibrées lors de leur implémentation au stade technique (appelé « Niveau 2 » du système législatif européen). Pour utiliser une analogie provenant du monde du football, l’accord de « Niveau 1 » de la MIF a permis aux joueurs d’avoir l’occasion de shooter, mais aucun but n’a encore été marqué. Près de 100 standards techniques seront négociés au cours des mois qui viennent et de nombreux lobbyistes du secteur financier défendront « les cages ».
Les outils proposés comportent, par exemple, un éventail de mesures ayant pour but de protéger les marchés des pires effets du trading à haute fréquence (THF). Certains des outils que nous aurions voulu voir adoptés n’ont pas été retenus. Cependant l’accord inclut des mesures telles que des coupe-circuits qui permettent de geler instantanément les marchés électroniques lorsqu’un algorithme de trading s’emballe, ainsi qu’un nouveau régime de pas de cotations minimaux (différence minimale entre 2 cotations pour permettre une transaction) qui pourrait contribuer à ralentir les transactions et donc limiter le THF.
Certains domaines de la MIF II ont déjà été définis en détail, comme certaines règles sur la protection des consommateurs. Un exemple : dans plusieurs Etats Membres, la plupart des investisseurs particuliers achètent leurs produits d’investissements (fonds mutuels de placement, trackers indiciels, etc.) auprès de vendeurs qui reçoivent des commissions sur ces produits,. Il est donc difficile pour les consommateurs d’obtenir un avis impartial.
La proposition de bannir ce type d’intéressement, qui était à un moment dans le projet de la Commission sur la MIF II, n’a malheureusement pas été retenue suite au lobbying de représentants de l’industrie financière. Elle ne pourra donc pas être discutée ni implémentée au « Niveau 2 ».
Les règles sur les structures boursières doivent également être étoffées. L’une d’elles concerne les « dark pools » , ces places de marché gérées par des bourses ou des banques d’investissements dont les membres peuvent conclure des transactions sans que les prix d’achat ou de vente ou le volume de ces transactions ne soient rendus publics. A l’origine, ces salles avaient été établies afin de permettre aux investisseurs professionnels d’échanger des nombres importants de titres sans créer de panique sur le marché.
Le problème est que si tout le monde conduit des transactions dans l’obscurité des « dark pools », les prix des marchés perdent de leur fiabilité, ce qui conduit à de mauvaises décisions d’investissement et nuit en fin de compte à l’économie. Il devient aussi plus difficile d’acheter et de vendre des instruments financiers sur les marchés transparents tels que les bourses, où les gens ordinaires conduisent leurs transactions. Le négoce en dehors des bourses, qui a connu une forte croissance depuis la MIF I, devrait donc être restreint.
Les nouvelles règles permettent toujours à une quantité importante de « dark trading » de prendre place, mais une limite a été instaurée, établissant un plafond à la croissance potentiellement illimitée du dark trading.
Une autre règle concerne le vaste marché des produits dérivés. Chaque jour, plus de mille milliards de dollars de produits dérivés sont échangés en privé entre de grandes banques et autres entreprises financières dans les marchés dits « de gré à gré ». Parce que ces transactions sont privées, les autorités de supervision n’ont pratiquement aucune idée des couvertures croisées des entreprises ou du niveau total du risque sur le marché. Au vu de la contagion causée par les produits dérivés lors de la dernière crise financière, les législateurs espèrent que la MIF II forcera ces transactions vers des infrastructures de marché réglementées, où elles pourront mieux être supervisées.
Les règles dans ce domaine présentent plusieurs faiblesses et lacunes. Il n’y a par exemple pas de définition de la notion de « gré à gré ».
Les règles sur la spéculation sur denrées alimentaires dépendent aussi en très grande partie de ce qui se passera dans un deuxième temps. Chaque Etat Membre peut, à condition de suivre les conseils de l’AEMF (l’Autorité européenne des marchés financiers), définir les limites de spéculation autorisée pour chaque type de produit dérivé sur les matières premières. Le but de cette mesure n’est pas de bannir la spéculation, qui peut être utile lorsqu’elle reste mineure, mais de faire de sorte qu’elle ne domine par le marché. Il est donc clair que ce but ne sera atteint que si les limites imposées par les Etats sont bien calibrées.
Les limites de position rétabliront-elles la primauté des acteurs opérationnels de ce marché (par exemple les producteurs de céréales) ? Cela dépendra des décisions prises au Niveau 2
La définition des standards de Niveau 2 va tenir les autorités de surveillance financière, les lobbyistes de l’industrie financière et Finance Watch occupés pendant les mois à venir.
La voix de la société civile est entendue
Le message pour tous ceux qui soutiennent Finance Watch est réconfortant. Bien que la proposition n’eût jamais pu parvenir à rétablir la véritable fonction sociale des marchés financiers (il faudrait pour cela une législation bien plus ambitieuse), nous avons maintenant un texte au Niveau 1 comportant des règles plus strictes que nous ne pouvions l’espérer il y a deux ans, lors de la publication de la proposition originale de la Commission.
Ce succès résulte en grande partie d’un mouvement de société civile organisé et bien soutenu.
La campagne contre la spéculation sur les denrées alimentaires, par exemple, a impliqué un travail de lobbying pointu permettant de compléter certaines lacunes des campagnes publiques créatives. Des vidéos ludiques ont été propagées par effet viral, une pétition a rassemblé 8.000 signatures et une autre 100.000, un message a été écrit en lettres géantes formées de marmites et de poêles devant le Parlement Européen, etc. Pour un aperçu des actions menées, consultez le blog du World Development Movement’s « Recipe for campaign success ».
Il reste encore beaucoup à faire avant que nous puissions confirmer que les marchés financiers ou le système bancaire servent la société mais la bonne nouvelle est qu’avec une bonne coordination et un bon soutien, les voix des citoyens peuvent faire bouger les choses dans la bonne direction.
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