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Comprendre la finance #3 – De quels marchés financiers avons-nous besoin ?

Understanding Finance / Beginner's Guide

Ce dossier multimédia vous fournit des informations sur la nature des marchés financiers et leur évolution au cours des dernières décennies. La deuxième partie analyse certains des mythes véhiculés par les lobbies financiers à propos des marchés et y oppose une série de contre-arguments.

Si l’on en croit les livres, les marchés financiers devraient permettre d’allouer le capital à des projets utiles économiquement (et devraient idéalement avoir un impact social et environnemental positif), au bénéfice de la société. Ils devraient donc jouer un rôle essentiel dans notre économie. Il se trouve par ailleurs que nous sommes aussi largement impliqués sur les marchés financiers en tant que consommateurs, parce que peuvent s’y trouver une partie de notre épargne, de nos retraites et de nos assurances.

PARTIE 1 : Le b.a.- ba

C'est quoi les marchés financiers et à quoi servent-ils ?

Un marché financier est un espace où des actifs financiers (actions, obligations, devises, produits dérivés …) sont achetés et vendus par différents acteurs. Selon les règles de ce marché, les prix sont fixés en fonction du niveau de risque et des perspectives de rentabilité que représentent les différents actifs.

Il y a plusieurs façons de participer à ce marché :

1. En tant qu’émetteur (entreprise, gouvernement …) : l’émetteur est à la recherche d’un financement. Il émet donc des titres, tels que des parts de capital (actions) ou des instruments de dette (obligations). L’émetteur cherche des investisseurs stables à long terme. En allant sur le marché, il peut accéder aux fonds recherchés, et s’engage en contrepartie à rémunérer ses investisseurs, en payant des dividendes (sur une action) ou des intérêts (sur une obligation).

2. En tant qu’investisseur (individu, caisse de retraite ou fonds d’investissement, gouvernement, entreprise…) : l’investisseur cherche à faire fructifier son capital. Il va chercher une juste rémunération pour son exposition à divers risques: le risque que l’émetteur se trouve en difficulté financière et ne puisse donc payer les intérêts prévus, le risque que les titres ne puissent pas être revendus sur le marché secondaire, etc. Les gestionnaires de fonds d’investissement et autres investisseurs institutionnels (surnommés « zinzins ») agissent au nom de millions de gens ordinaires qui épargnent pour leur retraite, placent leurs économies : ces millions de gens sont les épargnants finaux et réels.

3. En tant qu’intermédiaire (banque, teneur de marché, courtier, gestionnaire de fonds …) : il y a toute une chaîne d’intermédiaires qui fait le lien entre investisseurs et émetteurs. Les intermédiaires servent à faciliter le fonctionnement des marchés, mais ils augmentent dans le même temps le coût de chaque transaction pour les investisseurs. Plus il y a d’intermédiaires, plus la part des rendements perçus par l’investisseur final est faible.


A quoi ressemble une chaine d’intermédiation financière simple

Sur le côté droit du graphique, on trouve les créanciers finaux (appelés aussi épargnants finaux). Ce groupe comprend les ménages avec leurs économies et les investisseurs prêts à acheter des actifs (par exemple, des entreprises, des fonds de pension, etc.). Sur le côté gauche, on trouve les emprunteurs finaux (par exemple, des sociétés et institutions financières qui émettent des obligations ou des actions pour se financer, des ménages qui contractent des prêts pour acheter leur maison, etc…). Les marchés financiers sont constitués de tout ce qui se passe au milieu, là où les intermédiaires financiers (banques, courtiers, teneurs de marché, gestionnaires de fonds …) ont un rôle clé. Par exemple, l’épargne des ménages peut être utilisée à travers des banques traditionnelles pour financer l’octroi de prêts bancaires. Elle peut aussi être utilisée à travers des fonds d’investissements tels que des SICAV, ou à travers des fonds de pension, pour investir dans des actions ou des obligations.

« Vue simplifiée du processus d’intermédiation financière » (source: FMI, reproduction de Finance Watch)


Une bonne infrastructure n’est pas suffisante pour garantir un fonctionnement efficace des marchés financiers. La bonne conduite des acteurs détermine également la valeur que les marchés financiers apportent à l’économie réelle et à la société au sens large. Cela nécessite des règles écrites par le législateur. Cela nécessite aussi que des autorités publiques de supervision s’assurent de la bonne application de ces règles, ainsi que des codes de conduite et autres engagements des acteurs du marché.

Cette vidéo est une bonne introduction aux marchés financiers, faite par Dessine-moi l’éco : « La bourse et le financement des entreprises ».

Quelles fonctions les marchés financiers sont-ils censés remplir ?

L’objectif principal des marchés financiers est de canaliser l’épargne et le capital vers les activités économiques les plus productives.

Plus précisément, les marchés financiers remplissent trois fonctions économiques fondamentales :

  • Allouer le capital, rémunérer l’épargne, favoriser l’investissement : les marchés primaires sont les espaces où les actifs financiers (actions, obligations, produits dérivés) sont créés et distribués. C’est ici que les entreprises et les gouvernements accèdent à du capital ‘frais’, en vendant à des investisseurs des actions ou des obligations nouvellement émises sur le marché. Dans le cas d’une émission d’actions, une entreprise peut décider de faire ce qu’on appelle une introduction en bourse (IPO en anglais, Initial Public Offering ; plus d’explication dans la vidéo d’euronews « Se financer grâce à une introduction en Bourse » ).  Elle peut procéder ensuite à d’autres émissions de titres, selon ses besoins. Les acheteurs sont en grande partie des investisseurs institutionnels, tels que des fonds d’investissement.

  • Échange des actifs existants et formation des prix : Les investisseurs doivent être en mesure de revendre les titres négociables dans lesquels ils ont investi s’ils le souhaitent. Voilà pourquoi, une fois les titres vendus une première fois sur le marché primaire, ils sont négociés sur ce qu’on appelle le marché secondaire. Les marchés secondaires sont beaucoup plus importants que les marchés primaires. Économiquement, ils n’émettent pas de nouveaux titres, mais ils permettent aux investisseurs de négocier des titres existants entre eux, d’entrer et sortir du marché, et de fixer les prix des titres échangés. Ces fonctions permettent indirectement un bon fonctionnement du marché primaire.
    Théoriquement, les prix devraient refléter la valeur fondamentale des titres et fluctuer en fonction des réussites (et des échecs) de l’émetteur (micro-économie, ou facteurs endogènes) et de l’économie en général (macro-économie, ou facteurs exogènes). Ce sont ces signaux qui contribuent à diriger le capital vers un usage économiquement utile, par exemple en encourageant l’investissement dans les entreprises qui fonctionnent bien, et vice-versa. Mais les marchés secondaires peuvent aussi devenir un paradis pour les spéculateurs, et les prix sont parfois loin de la valeur fondamentale des titres. La possibilité de formation d’une bulle est donc toujours là.
  • Gestion des risques : La troisième fonction des marchés financiers est de contribuer à gérer les risques qui surviennent au sein de l’économie réelle et de la sphère financière. Par exemple, une entreprise de construction peut souhaiter se couvrir contre une hausse potentielle du prix de l’acier ; ou un fonds de pension peut vouloir se couvrir contre une baisse potentielle des taux d’intérêt. Il y a pour cela des instruments spécifiques (principalement ce qu’on appelle les produits dérivés) qui permettent aux acteurs du marché de transférer divers risques (risque de crédit, risque de taux d’intérêt …) à d’autres acteurs du marché plus disposés à prendre ces mêmes risques. Cela peut permettre à certaines entreprises de se lancer dans des activités qu’elles n’auraient pas conduites autrement.
    Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le transfert du risque ne l’élimine pas. La crise financière en a été une démonstration dramatique. En outre, le fait que de nombreux produits dérivés puissent être émis et échangés en plus grandes quantités que les risques qu’ils sont censés couvrir – ou que les actifs auxquels ils sont liés – en font un outil de spéculation idéal. Et de fait – et c’est un développement particulièrement récent, il y a beaucoup plus de produits dérivés que d’actifs sur les marchés. Résultat, le montant notionnel des produits dérivés en circulation est d’environ neuf fois la taille du PIB du monde entier, soit environ 100 000 USD pour chaque homme, femme et enfant sur la planète.

« 99% des négociations de titre n’apportent rien ni à l’économie ni aux investisseurs »

John Bogle, le fondateur du gestionnaire d’actifs Vanguard, a expliqué dans une interview récente (Time, 27 juillet 2015 ; Slate a publié un article basé sur l’interview en français) pourquoi les marchés financiers bénéficient principalement aux intermédiaires: « Le rôle de la finance est d’apporter du capital aux entreprises. Nous faisons cela avec 250 milliards de dollars par an sous la forme d’introductions en bourse et d’augmentations de capital. Que faisons-nous d’autre? Nous poussons les investisseurs à échanger environ 32 000 milliards de dollars de titres par an. Donc si je calcule bien, 99% de ce que nous faisons dans cette industrie consiste en des échanges d’une personne avec une autre dans le seul intérêt de l’intermédiaire. C’est un gâchis considérable de ressources. »


Afin de remplir sa fonction de manière efficace, un marché financier devrait être:

  • Juste : l’accès au marché devrait être égal pour tous les participants, et protégé des comportements abusifs.
  • Ordonné : l’offre et la demande d’actifs devraient être à peu près égales, et la volatilité faible.
  • Transparent : l’information sur les offres d’achat ou de vente (avant l’échange) ainsi que sur les opérations exécutées (après l’échange), en ce compris le volume et le prix, devrait être publique.
  • Fiable : les structures et les mécanismes du marché devraient assurer les transactions à chaque étape de la chaîne: négociation, compensation et règlement.
Perspective historique : Comment on est passé de l’investissement au pari

Au départ, les marchés financiers étaient étroitement liés à l’économie réelle et en finançaient les activités. Cependant, depuis les années 1990, ce lien a progressivement disparu. La déréglementation des marchés financiers s’est traduite par un usage croissant du capital à des fins purement spéculatives et court-termistes.

A) Des incitations inappropriées

L’horizon de temps n’est pas la seule différence entre un investissement et de la spéculation. Sur des marchés justes et transparents l’entité financée et l’investisseur se retrouvent liées, pour le meilleur et pour le pire. La valeur capturée par l’investisseur provient de l’activité de l’économie réelle. L’investisseur et l’entité financée gagnent ou perdent ensemble.

La spéculation est un jeu à somme nulle où l’argent gagné par un spéculateur est perdu par l’autre côté de la transaction et vice versa. La spéculation cherche à extraire des bénéfices du simple acte d’achat et de vente d’actifs, elle a donc besoin de marchés secondaires très liquides – et elle n’est certainement plus un jeu à somme nulle à partir du moment où elle affecte d’autres personnes et créé des externalités économiques négatives de part et d’autres de la transaction, externalités qui retombent finalement sur la société en général.

Vous trouverez ici une petite animation réalisée par Finance Watch qui explique le lien entre la spéculation sur les produits dérivés agricoles et l’évolution des prix (prix de l’énergie, de l’alimentation, etc.).

Comme Keynes le disait, les marchés ne peuvent être efficaces dans leur rôle d’allocation du capital aux activités les plus productives que si la grande majorité des acteurs du marché ont ce qu’il appelle une perspective « d’entreprise » (nous les appellerons des « investisseurs »), par opposition à une perspective « spéculative ». Dans son analyse des leçons de la crise de 1929 provoquée par l’explosion d’une bulle financière spéculative, Keynes n’accuse pas des individus avides de profits et mal intentionnés. Il pointe plutôt une structure de marché qui incite les acteurs à spéculer plutôt que de contribuer à une saine allocation du capital. Il faut donc « aider » les marchés financiers à remplir leur fonction essentielle au service de l’économie réelle, sans quoi nous ne serons pas à l’abri de l’explosion d’une prochaine bulle spéculative et de la crise qu’elle provoquera.

B) L’interconnexion du système financier

Théoriquement, l’explosion d’une bulle financière ne devrait pas toucher nécessairement les acteurs en dehors de la bulle, mais dans les faits, cela arrive puisque les compagnies d’assurance, les fonds de pension et les banques (des acteurs majeurs des marchés financiers) sont impliqués et reliés les uns aux autres. Par ailleurs, moins il y a de transparence et d’information disponible sur les produits financiers échangés sur les marchés, plus il est probable que des produits toxiques soient vendus et disséminés à travers le système financier. Mais finalement, un produit financier n’a pas besoin d’être toxique pour créer de l’interconnexion au sein du système : les variations de prix et les décisions d’achat ou de vente d’un titre même non-toxique affectent de nombreux acteurs différents en même temps. Imaginez que de nombreuses banques aient toutes investi dans les mêmes types de produits financiers : si le prix de ces produits change brutalement, toutes les banques sont affectées simultanément créant les conditions de faillites en chaine.

Un autre facteur qui contribue à l’interdépendance des institutions financières est le fait que les banques (et plus particulièrement les plus grandes d’entre elles) ne sont pas seulement financées par des dépôts, mais se financent largement auprès d’autres banques, fonds de pension, gestionnaires d’actifs, fonds d’investissement, etc. C’est ce type de financement dit de marché qui a stimulé la croissance des activités des banques sur les marchés financiers (trading). Il se trouve que ce financement est octroyé à un coût artificiellement bas, vu que les investisseurs supposent que les Etats ne laisseront pas tomber, en cas de difficultés, les banques qui ont des dépôts garantis et une activité commerciale capable de faire tomber en faillite d’autres banques. Et c’est un problème pour les régulateurs bancaires, car en cas de crise, ils ne pourront pas imposer des pertes sur les créanciers de grandes banques (un processus connu sous le nom de « bail-in », ou renflouement interne) de peur de transmettre les pertes à d’autres parties du système financier. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, vous pouvez lire notre publication « Europe’s banking trilemma ».

C) Banques trop grosses pour faire faillite

La croissance rapide des méga-banques a été un autre facteur déclencheur de la crise financière. Comme l’a décrit James Rickards« Les emprunteurs étaient téméraires, les courtiers cupides, les agences de notation négligentes, les clients naïfs, et le gouvernement a encouragé le fiasco avec des objectifs irréalistes en matière de logement et en octroyant des lignes de crédit illimitées à Fannie Mae et Freddie Mac [ndlr : agences quasi-gouvernementales de financement hypothécaire des logements aux Etats-Unis]. Cela dit, le fait qu’il y ait tellement d’acteurs à accuser ne doit pas nous faire oublier que les grandes banques sont les principales responsables. Sans des banques pour fournir des crédits aux courtiers qui les revendaient et qui alimentaient Wall Street en actifs toxiques, jamais une telle structure pyramidale n’aurait pu être érigée. »

Cela constitue une des raisons pour lesquelles Finance Watch appelle à une séparation des activités bancaires (pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre premier dossier multimédia « Comprendre la finance #1 – Séparer les mégabanques ? »).

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« Pouvons-nous faire face aux marchés financiers ? Conférence TED sur les choses que l’on fait mais qu’on ne peut plus comprendre »

Dans son livre publié en 2007, « L”âge des Turbulences », Alan Greenspan, Président de la Banque centrale des États-Unis de 1987 à 2006, décrit combien il est difficile de contrôler les marchés financiers modernes: « Les marchés sont devenus trop grands, trop complexes et suivent une évolution trop rapide pour être soumis à une supervision et une réglementation qui datent du vingtième siècle. Même si les régulateurs prétendent encore remplir un rôle de surveillance, force est de constater que leurs capacités ont été nettement amoindries et qu’elles s’amoindrissent encore ». L’absence de réglementation financière forte a permis aux marchés financiers de faire des choses (comme par exemple le Trading à haute fréquence) que nous ne sommes plus capables de comprendre. C’est le propos développé par Kevin Slavin dans sa brillante conférence TED sur ce sujet

A quel point les marchés financiers ont-ils besoin de « liquidité » ?

La liquidité est un concept clé des marchés financiers.

Du point de vue des investisseurs, la liquidité renvoie à la capacité de vendre rapidement les actifs financiers qu’ils détiennent (actions, obligations, …) et de les échanger contre du numéraire ou contre d’autres actifs. Tout cela dans un temps raisonnable et sans impact majeur sur leur prix.

Du point de vue des spéculateurs, la liquidité est considérée comme la possibilité permanente et sinequanone d’acheter et de vendre des actifs financiers dans le seul objectif de tirer un bénéfice maximal des fluctuations de prix. Sur un marché essentiellement spéculatif, une liquidité excessive conduit les acteurs dans la même direction en même temps : tout le monde achète en même temps, tout le monde vend en même temps. Du coup, on arrive à la situation inverse où il devient impossible de vendre ou d’acheter, autrement dit à une situation de non-liquidité du marché. Des marchés trop dépendants d’une liquidité à court terme risquent donc constamment de « s’assécher », comme cela a été le cas pour le marché interbancaire en 2008.

Par ailleurs, si les investisseurs accordent trop d’importance à la liquidité d’un titre avant de l’acheter (par exemple en ne décidant d’acheter un titre que s’ils sont assurés de pouvoir le revendre facilement si les prix du marché baissent), ils en accorderont moins à des critères pourtant essentiels tels que l’analyse des risques sous-jacents de l’actif,  sa nature, et encore moins à ses objectifs sociaux et environnementaux avant de l’acheter.

Keynes considérait notamment que le dogme de la liquidité était de nature à détourner les investisseurs de leur rôle qui est d’allouer le capital à des fins productives. Selon lui, aucune des maximes de la finance orthodoxe n’était « plus antisociale que le fétiche de la liquidité » (pour en savoir plus, vous pouvez lire l’article sur le blog de Finance Watch : « La liquidité – une arme à double tranchant »).


Le trading à haute fréquence

Le développement du Trading à haute fréquence (THF) est un autre exemple des nouvelles techniques et stratégies qui menacent l’équité, l’ordre et l’intégrité des marchés financiers. Le trading à haute fréquence consiste à utiliser des algorithmes et des ordinateurs pour l’exécution de stratégies de négoce ultra-rapides. Cette pratique domine aujourd’hui de nombreux marchés financiers. Les investisseurs institutionnels utilisent des algorithmes pour cacher des grandes transactions, tandis que des entités spécialisées en THF utilisent leurs algorithmes pour trouver et tirer profit de ces grosses transactions. Les stratégies du Trading à haute fréquence  peuvent non seulement entamer la confiance des investisseurs dans les marchés, mais aussi les assécher et accroître les risques d’abus de marché (voir la partie 2 « Démystifier les affirmations du lobby financier », ci-dessous).

Pour aller plus loin, jetons un œil à notre infographie sur le Trading à haute fréquence !

PARTIE 2 : Le débat et la position de Finance Watch

Démystifier les affirmations du lobby financier

Les lobbys du secteur financier ont exercé d’énormes pressions – avec succès d’ailleurs – pour limiter la portée des législations qui affectent leurs intérêts. Ces pressions s’appuient sur un grand nombre de mythes, dont certains visent à créer un climat de peur au sein du monde politique en insistant sur le fait que toute réforme serait nuisible à une économie déjà fragilisée. Voici les réponses de Finance Watch à quelques-uns de ces mythes.

Ce que dit le lobby bancaire : « Les marchés sont efficaces par nature. Toute intervention externe doit être limitée au minimum »

Ce mythe repose sur l’Hypothèse d’efficacité des marchés (HEM), une théorie qui suppose que les participants au marché sont des ‘optimisateurs rationnels’ et que la répartition du capital sera optimale parce que le mécanisme de formation des prix est parfait et que les acteurs sont parfaitement rationnels. Toute intervention extérieure (gouvernements, régulateurs) aurait donc un impact négatif direct sur la capacité des marchés à servir leur but. En bref, la théorie HEM prône l’autorégulation.

La croyance en l’efficacité des marchés a dominé l’approche réglementaire au cours des 30 dernières années. Les réglementations ont ainsi systématiquement favorisé la concurrence en créant des règles du jeu identiques pour tous les acteurs, le principe sous-jacent étant que la concurrence entre intérêts privés créerait des marchés plus efficaces en les mettant au service de la société.

De nombreuses analyses de la crise financière ont pourtant démontré que les acteurs du marché donnent la priorité à l’optimisation du profit à court terme en pariant sur l’évolution des cours, plutôt qu’à une stratégie d’investissement à long terme basée sur l’analyse des rendements futurs de l’actif sous-jacent. Les acteurs du marché n’agissent donc pas comme des ‘optimisateurs rationnels’ à la recherche d’un prix qui reflèterait la valeur fondamentale des actifs. Au contraire – et cela est bien connu des professionnels – les acteurs du marché sont aussi influencés par des comportements humains irrationnels (peur, avidité, etc.) et très peu de gens peuvent résister à la tentation de tirer profit d’un simple changement de prix, même si ce prix ne reflète pas la valeur réelle du titre.

Les faits montrent par ailleurs que le secteur financier est devenu moins efficace au cours des dernières années. Selon une étude récente, le coût unitaire de l’intermédiation financière (en gros, la valeur de tous les actifs financiers ramenée à la part de PIB produite par le secteur financier) est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était dans les années 1990 – en d’autres termes, la production d’un euro d’actif financier coûte plus cher aujourd’hui qu’alors. Et ceci malgré les innovations et l’efficacité auto-proclamées des financements par le marché, tel que cela a été affirmé avec aplomb pendant toute cette période.

Ce que dit le lobby financier : « Le Trading à haute fréquence augmente la liquidité »

Le THF augmente les volumes échangés – pas la liquidité !

Les stratégies du THF relèvent soit d’un suivi des tendances de marché – qui génèrent donc des volumes mais assèchent la liquidité des marchés – soit de stratégies auto-proclamées “créatrices de liquidité” qui visent à récolter les réductions de frais octroyées par les bourses aux acteurs qui génèrent des volumes importants. Ce type de stratégie ne créé pas de liquidité mais empêche les investisseurs de procéder à d’importantes transactions: ainsi, lorsqu’un investisseur cherche à exécuter un ordre et que cet ordre est repéré par un acteur du THF, celui-ci annonce un prix; mais au moment où l’investisseur confirme la transaction, l’acteur du THF aura très probablement déjà annulé son offre – en effet, la plupart des ordres passés par le THF sont immédiatement annulés. Le THF « pompe » donc de la liquidité aux marchés en pratiquant une concurrence déloyale envers les investisseurs réels et menace ainsi l’équité, l’ordre et l’intégrité des marchés financiers.

Ce que dit le lobby financier : « La financiarisation de l’économie est bonne pour la croissance »

L’ancrage de la finance dans les pays dits développés s’est profondément renforcé au cours des dernières décennies, et notamment depuis la période de déréglementation commencée dans les années 1980. Mais est-ce qu’une telle financiarisation de l’économie est bonne pour la croissance? Le Fonds Monétaire International (FMI) écrivait récemment ceci : « Notre analyse démontre qu’il peut y avoir “trop de finance” dans le sens où au-delà d’un certain niveau de développement de la finance, les impacts positifs sur la croissance économique diminuent, tandis que les coûts en terme de volatilité économique et financière augmentent. » Lorsque le rapport entre dette privée et PIB devient trop grand, plus de finance induit moins de croissance, un effet que les chercheurs du FMI ont appelé « l’effet délétère du développement de la finance ».

Extrait de la BD de Finance Watch « Bâle 3 : le retour du Régulateur »

Même si le surdéveloppement du secteur financier est de manière générale un poids pour l’économie, certains types de crédits contribuent à la croissance. Ainsi, le crédit bancaire aux entreprises non-financières contribue à la croissance économique. Ce type de crédit est plus productif que le crédit à des entreprises financières ou au secteur immobilier. Le problème est que les plus grandes banques européennes se concentrent aujourd’hui principalement sur ces mêmes activités qui sont moins productives, et aussi et surtout sur des activités autres que le crédit telles que le négoce de titres financiers (trading) ou la tenue de marché (market making). Finance Watch a organisé une conférence en Novembre 2014 intitulée « Quelle finance pour quelle croissance ? ». Le compte-rendu de cette conférence ainsi que le dossier d’information réalisé pour l’occasion sont disponibles ici.

Qu’en pense Finance Watch? Promouvoir l’investissement, pas le pari.

Les efforts de (re-)réglementation entamés aux Etats-Unis et en Europe devraient se fonder sur une évaluation réaliste du comportement des acteurs de marchés et des critères sur lesquels ils prennent leurs décisions. La période récente (et notamment les quinze dernières années) a montré que l’autoréglementation sur les marchés d’actions, d’obligations et de produits dérivés n’était pas synonyme de stabilité financière et de retombées positives pour la société.

Le système d’autoréglementation des marchés dans un objectif de concurrence a en réalité conduit à une concentration des marchés entre les mains de quelques acteurs très puissants, à une augmentation de la complexité des structures de marché et à une déréglementation du secteur. Les régulateurs doivent s’attaquer à ces problèmes pour restaurer la stabilité et l’équité sur les marchés financiers, en gardant à l’esprit que c’est aux marchés financiers de s’adapter aux réglementations, et pas l’inverse. Sans une réglementation adéquate, les mauvaises pratiques se répandent rapidement, comme cela a été démontré par la crise des subprimes.

L’objectif annoncé par les législateurs est – dans une période économique difficile telle que celle que nous traversons – de réorienter le capital vers des stratégies d’investissement à long terme au profit de l’économie réelle. Ce changement aura un coût pour les spéculateurs et autres bénéficiaires de stratégies de court-terme. Mais ce changement de modèle est nécessaire et sera au bénéfice du plus grand nombre.

Il convient également de garder à l’esprit que l’objectif premier des marchés financiers est de contribuer à l’allocation du capital, et que le coût de l’intermédiation financière n’est justifié que si elle sert plus largement les besoins de l’économie et de la société.

Selon Finance Watch, les législateurs devraient remettre sérieusement en question l’utilité des activités financières qui ne sont pas au service des usagers finaux et qui ne contribuent pas directement au financement de l’économie réelle. Si vous souhaitez approfondir ces sujets, consultez notre rapport sur la réglementation des marchés financiers Européen (MIFID II) intitulé « Investing not betting ».

Plus récemment, la Commission Européenne a lancé une initiative intitulée Union des marchés de capitaux. Alors qu’un changement de stratégie est requis pour que l’investissement prenne le dessus sur le pari, l’Union des marchés de capitaux risque de promouvoir encore davantage une croissance à court terme, au détriment d’un investissement à long terme au bénéfice de l’économie et de la société en général. Pour en savoir plus sur l’Union des marchés de capitaux et l’analyse qu’en fait Finance Watch, consultez notre récent rapport ainsi que notre bande dessinée.

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