La banque éthique, pierre angulaire d’une finance saine | Finance Watch

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La banque éthique, pierre angulaire d’une finance saine

Compte rendu de la conférence NewB / Finance Watch “Ethical Banking Works!”

Avec : Luc Van Liedekerke (Professeur d’Ethique financière à l’Université d’Anvers), Christian Felber (Economie du Bien Commun), Tom Olinger (NewB), Benoît Lallemand (Finance Watch), Annika Cayrol (Réseau Financité, modératrice)

Les copieux débats autour de la présentation de Christian Felber et de la table ronde sur le futur de la finance éthique ont révélé un panel unanime et un public déterminé à #ChangerLaFinance. (Voir aussi les vidéos ci-dessous). Le constat est sans appel : le système financier n’est pas aligné sur les besoins de la société. La spéculation génère des bulles et une volatilité qui gêne l’émergence de vrais signaux-prix et la pression pour des rendements financiers à court-terme occulte les besoins de financement pour l’intérêt général.

Sur le plan de la profession bancaire, l’éthique est trop largement absente des pratiques financières; le système financier est énorme, opaque, volatile; la prise de risque encouragée par des primes démesurées et la responsabilité individuelle diluée par la taille excessive des banques. Enfin, l’échec des tentatives de séparation bancaire maintient un système bancaire #TooBigToFail et #TooBigToJail (Voir le documentaire récent de Marc Roche), qui n’encourage pas la responsabilité de la profession.

Deux groupes de solutions se dessinent : celles qui ré-injectent de l’éthique et de la responsabilité dans les pratiques des banquiers au quotidien et celles qui limitent les impacts négatifs des marchés financiers et les ré-alignent sur les besoins de financement de l’économie réelle.

Remettre de l’éthique dans les pratiques bancaires

Les intervenants s’accordent à dire que, parmi les raisons de la crise de 2008, les mauvaises pratiques des financiers sont en haut de la liste. Au coeur du problème : l’absence de responsabilisation face à la prise de risque. Ce qu’un intervenant appelle “jouer à la roulette russe avec des balles à blanc” : motivé par des bonus mirobolants en cas de succès, le banquier fait prendre à sa banque des risques énormes, spécule sur des produits à fort rendement, notoirement toxiques ou dont l’opacité ne permet simplement pas de juger la dangerosité. Mais si le vent tourne et que la banque s’effondre, l’Etat intervient en dernier recours pour payer les pots cassés sous la menace d’une disparition de l’épargne de ses citoyens : le trader et la banque s’en sortent indemnes. Autrement dit, la taille phénoménale des banques impose de facto une garantie publique implicite des activités à risques des banques. Privatiser les profits, nationaliser les pertes…

Pour Benoît Lallemand, la première des choses serait donc de séparer les banques, de réduire leur taille et de limiter les bonus et les rémunérations pour décourager l’excès de risque. Ainsi, les traders auraient moins envie de jouer à la roulette russe, mais s’ils le font, il le font à balle réelle. Luc Van Liedekerke rappelle cependant que si les banques sont si grandes c’est bien parce que l’économie est globalisée. Réduire la taille de la finance implique une réduction de la richesse totale et n’est pas sans conséquences sur l’économie.

Pour Tom Olinger, la taille excessive et la complexité des structures bancaires provoque d’autres effets adverses. Quand une institution financière se rend coupable de malversations, comment dégager la responsabilité d’une personne unique alors qu’une banque est une personne morale, dirigée par un directoire et que la responsabilité est diluée dans l’organigramme, dans la pression exercée par les actionnaires, dans la complexité des produits ? Les comportements éthiques ne peuvent se généraliser sans l’aide de la régulation. Le seul moyen de résoudre cette quadrature du cercle est de simplifier les produits, les procédures et d’imposer une transparence de la gouvernance. Là encore, la réduction de la taille des banques permettrait enfin à l’échelon N+1 de comprendre et de contrôler le niveau de risque pris par les échelons inférieurs.

Une régulation qui réinvente la banque

Pour Christian Felber, du fait de son importance structurelle dans la direction prise par nos sociétés, le métier bancaire devrait être considéré comme un service public fourni par des acteurs privés. En actant le statut d’intérêt général de l’activité bancaire, en changeant l’objet social des banques, qui ne peuvent être réduites à des machines à profits mais doivent porter des projets de financement en phase avec la société, ou encore en imposant aux banques un ratio de “bons” prêts (Verts, éthiques) pour être couverts par la garantie publique, il est possible de réaligner le système financier sur les besoins de la société.

En finance, la définition même du risque se limite aujourd’hui au risque financier. Il est crucial d’inclure dans le radar des institutions financières d’autres risques : risques sociaux, risques climatiques, etc. Car en dépit du bon sens, il est aujourd’hui plus risqué d’investir dans des infrastructures vertes ou des logements sociaux (dont le besoin se fait cruellement sentir) que dans des immeubles touristiques en bord de mer, dans des zones probablement recouvertes par la montée des eaux dans 20 ans. Mais, direz-vous, est-il seulement possible de parvenir à une définition universelle des besoins de la société ? Pour la plupart des intervenants, c’est non seulement possible, mais déjà fait : il s’agit des ODDs (Les Objectifs du Développement Durable), qui ont fait l’objet d’un long travail de l’ONU et qui décrit le minimum de ce que nos économies devraient construire pour un développement durable.

Dès lors que le problème de définition des besoins serait réglé, resterait la question de savoir si un investissement ou un portefeuille d’actifs est en phase avec ces ODDs. Pour cela, il est urgent que la régulation décrive précisément ce qu’est un prêt éthique. C’est là qu’on entre dans les aspects techniques du fonctionnement des banques et des marchés financiers, dans les questions de taxonomies et de reporting qui avancent à grand pas. Il est donc essentiel d’imposer aux produits financiers eux-même un reporting précis de leurs impacts en termes de critères ESGs (Pour “Environnement, Social et Gouvernance”). Une fois les impacts réels des produits financiers mesurés et une fois imposée la transparence sur les bilans des banques, la “banque éthique” peut également être décrite par la loi et il est aisé de l’encourager – comme par exemple en lui réservant le pouvoir de création monétaire.

Changer l’enseignement de la finance

Pour Luc Van Liedekerke, si 85 % des ponts s’écroulaient en Belgique en quelques semaines, les écoles d’architectes et d’ingénieurs ainsi que les théories qu’elles utilisent seraient radicalement modifiées et les pratiques des professionnels durement régulées. Mais en matière de finance, les mauvaises pratiques ont la vie dure. En 2008, 85% du système bancaire belge s’est effondré en deux semaines. On s’imagine à bon droit que les dérives et pratiques toxiques généralisées qui ont généré cette crise ont été jugulées, encadrées et que tous les professionnels de la finance ont une connaissance fine des conséquences de telles pratiques. Malheureusement, #10ansAprès la plus grave crise financière de l’histoire, les changements de pratiques des professionnels et l’enseignement de la finance n’ont été modifié qu’à la marge : les banquiers sont toujours formés comme si l’éthique n’existait pas. Un vrai scandale donc.

Conclusion : quelle est la taille optimale du système financier ?

La question demeure : faut-il tenter de réformer l’existant de l’intérieur au risque de l’échec ou faut-il faire table rase des acteurs actuels, parfois englués dans des mauvaises pratiques de façon difficilement réformable ? Le second choix impliquerait une réduction drastique de la taille du système financier qui implique aussi une réduction de la taille de l’économie. La question subsidiaire est donc : quelle est la bonne taille pour le système financier ?

A suivre…

Pablo Grandjean

Les vidéos de l’événement (en anglais) : 

Christian Felber:

Tom Olinger:

Benoît Lallemand:

Luc Van Liedekerke:

Q&A with the Panel:

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