Paquet bancaire COVID-19, l’analyse de Finance Watch

0

Devant une crise annoncée, il peut être judicieux de suspendre ou de reporter les mesures visant à accroître la résilience des banques, et d’en proposer d’autres destinées à soutenir les prêts à l’économie réelle une fois la crise arrivée. Cependant, notre analyse des réformes bancaires liées au Covid19 montre que certaines limites en matière d’allégement réglementaire ne doivent pas être franchies.

N.B. : Ce billet est la traduction d’un article initialement paru en anglais sur le site principal de Finance Watch.

Le paquet bancaire COVID-19 : Plus de souplesse dans les règles bancaires de l’UE

Le 28 avril 2020, la Commission européenne a proposé un ensemble de mesures législatives visant à faciliter les prêts bancaires en réponse à la crise du Coronavirus[1]. Cet ensemble contient un certain nombre d’amendements de la deuxième réglementation sur les exigences de fonds propres (CRR II)[2] :

  • La période de transition de 5 ans pour l’application de la méthode de pertes de crédit attendues, visant à reconnaitre l’exposition aux prêts non performants et à calculer les provisions pour pertes sur prêts conformément à l’IFRS 9 doit être réinitialisée de deux ans, du 1er janvier 2018 au 1er janvier 2020, et raccourcie d’un an[3]. À l’origine, la transition complète vers l’IFRS 9[4], y compris l’introduction d’un seuil obligatoire pour identifier une exposition non performante, (le « filet de sécurité prudentiel »)[5], devait être achevée pour le 1er janvier 2023. Aujourd’hui, son introduction doit être reportée d’un an, au 1er janvier 2024. Pendant cette transition, les banques peuvent réintégrer une partie (décroissante) des provisions de l’IFRS 9 dans le CET1 (article 473 bis du CRR II) ;
  • L’application de l’exigence d’un coussin de ratio de levier pour les banques mondiales d’importance systémique (G-SIB) (art. 92 CRR II) doit être reportée d’un an (au 1er janvier 2023). Les autorités de surveillance peuvent autoriser temporairement les banques, pour une période maximale d’un an, à exclure les réserves détenues auprès des banques centrales (hors obligations souveraines) du calcul du ratio de levier (article 429a CRR II).
  • Les modifications du facteur supplétif du risque de crédit pour les prêts aux petites et moyennes entreprises (PME) (art. 501 CRR II) et l’introduction d’un nouveau facteur  supplétif pour les projets d’infrastructure (art. 501a CRR II.) doivent être avancées d’un an ; et
  • Une nouvelle règle qui n’oblige plus les banques à déduire de leurs fonds propres réglementaires les actifs incorporels liés aux investissements en logiciels (article 36 CRR II) doit être avancée d’un an et entrera donc en vigueur à la date de publication de la norme technique par l’ABE.

Autres initiatives de l’UE visant à soutenir les prêts bancaires

Les initiatives législatives présentées ci-dessous ne sont pas isolées et s’ajoutent à un ensemble de mesures monétaires, réglementaires et de surveillance:

  • Le 12 mars, la Banque centrale européenne (BCE) a autorisé les banques à opérer temporairement en dessous du niveau de fonds propres défini par les orientations du pilier 2 (P2G), ainsi qu’en dessous du coussin de conservation des fonds propres (CCB- capital conservation buffer) et du ratio de liquidité (LCR- liquidity coverage ratio). La BCE a également appelé les autorités macroprudentielles nationales à assouplir les coussins de fonds propres contracyclique (CCyB – countercyclical capital buffer). Par ailleurs, la BCE a prévu l’utilisation (partielle) de fonds propres n’étant pas éligibles en tant que fonds propres de base de catégorie 1 (CET1), (tels que les instruments supplémentaires de catégorie 1 ou 2), pour satisfaire aux exigences du pilier 2 (P2R- Pillar 2 Requirements).
  • Le 18 mars, la BCE a annoncé un nouveau programme élargi d’achat d’actifs d’un montant total de 870 milliards d’euros. Le Programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP)[6], a pour objectif de stabiliser le secteur bancaire et encourager les banques à accorder des prêts aux entreprises et aux ménages tout au long de la crise actuelle.

Le 19 mars, la Commission européenne a publié un cadre temporaire pour les aides d’État[7]. En ce qui concerne l’art. 107 TFUE, la Commission a confirmé que :

  • Les aides d’État accordées par les États membres aux entreprises, lorsqu’elles transitent par les banques en tant qu’intermédiaires financiers, profitent directement à ces entreprises et n’ont pas pour objectif de préserver ou de rétablir la viabilité, la liquidité ou la solvabilité des banques. Elles ne doivent donc pas être considérées comme des aides d’État aux banques[8]
  • Les aides d’État accordées par les États membres aux banques pour compenser les dommages directs subis du fait de l’épidémie de COVID-19 n’ont pas pour objectif de préserver ou de rétablir la viabilité, la liquidité ou la solvabilité d’un établissement. Par conséquent, ces aides ne constituent pas un soutien financier public exceptionnel[9].
  • Le 25 mars, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a publié un communiqué sur l’application du cadre prudentiel concernant les notions de défaut de paiement, de renégociation et l’application des nouvelles normes IFRS 9 à la lumière des mesures COVID-19. Il s’agit de l’un des différents communiqués de l’ABE visant à soutenir les initiatives des gouvernements nationaux et des autorités de surveillance nationales pour atténuer l’impact de la crise, tels que permettre la suspension ou le report des remboursements de prêts par les ménages et les entreprises. L’ABE a confirmé que ces moratoires ne doivent pas être considérées comme des mesures de renégociation et que les prêts bénéficiant d’une suspension ne doivent pas être reclassés comme des prêts non performants.
  • Le 1er avril, le Conseil de Résolution Unique (CRU) a annoncé qu’il « utiliserait son pouvoir discrétionnaire et la flexibilité donnée par le cadre réglementaire pour adapter les objectifs intermédiaires appliqués aux groupes bancaires à la période actuelle, ainsi que pour ajuster les objectifs MREL (Minimum requirement for own funds and eligible liabilities) en cohérence avec les exigences de fonds propres, notamment les coussins de fonds propres () ».

L’avis de Finance Watch sur le paquet bancaire CoViD-19

Fondamentalement, Finance Watch convient qu’il est judicieux de ne pas insister sur le renforcement des règles en pleine crise. L’épidémie de COVID-19 est l’archétype d’un « choc externe » pour l’économie – contrairement à 2008, cette crise n’est pas auto-infligée/endogène. Tout comme en 2008, les banques subiront de lourdes pertes et auront des difficultés à lever de nouveaux capitaux. Du point de vue de l’élaboration de politiques contra cycliques, il est pertinent de suspendre ou de reporter les mesures visant à accroître la résilience des banques avant une crise, et d’en proposer d’autres destinées à soutenir les prêts à l’économie réelle une fois la crise la crise arrivée. Cependant, il y a des limites :

  • Les mesures législatives proposées viennent s’ajouter à une série d’autres mesures déjà mises en place par d’autres institutions de l’UE, les gouvernements nationaux et les autorités de surveillance. Le secteur bancaire dispose désormais de nombreuses incitations à accorder des crédits : les liquidités sont abondantes et gratuites, grâce à l’énorme programme d’achat d’actifs (PEPP) de la BCE ; les fonds propres réglementaires existants peuvent être utilisés comme levier, grâce à l’allégement réglementaire fourni par les autorités de surveillance ; enfin, la reconnaissance et la constitution de provisions pour les pertes probables sur prêts peuvent être reportées.
  • Le résultat de cette combinaison pourrait être un nouveau déclin des normes de prêt – qui étaient déjà faibles avant la pandémie – et, en fin de compte, une résurgence des prêts non-performants. Une nouvelle vague de prêts non-performants, y compris de la part d’emprunteurs qui étaient à peine solvables avant la pandémie, perpétuerait le problème des prêts non-performants déjà existant et nécessiterait une fois de plus le renflouement par les contribuables des banques les plus touchées, et généralement les moins bien gérées.
  • Dès lors, nous désapprouvons la proposition de reporter l’application des normes IFRS 9. Non seulement cela retarde l’introduction d’une approche commune attendue depuis longtemps et dont le besoin se fait cruellement sentir, pour la reconnaissance des prêts non-performants et la constitution de provisions pour pertes, mais elle prive les régulateurs, les investisseurs et autres parties prenantes, d’une mesure essentielle de la santé des bilans des banques, au moment où elle est le plus nécessaire.
  • Il y a toujours un risque pour que des mesures provisoires finissent par devenir permanentes, comme ce fut le cas, par exemple, avec la tristement célèbre communication bancaire de 2013[10], une mesure de crise qui a survécu tout au long de « la plus grande bulle boursière de l’histoire » (2009-2020). Rien ne dure plus longtemps qu’une solution temporaire. Avec le report de l’application d’IFRS 9, une mesure à laquelle le secteur bancaire s’est farouchement opposé à chaque étape, le risque de de voir le poids de la réglementation diminuer est réel.
  • Enfin, tout le soutien apporté au secteur bancaire par les contribuables mérite une « contrepartie« . Si l’on attend des législateurs qu’ils assouplissent les règles afin d’aider les banques à accorder des crédits sans se heurter à des contraintes de capitaux, il serait juste qu’ils s’engagent dans le même temps à préserver les capitaux. La recommandation de la BCE et de l’Autorité bancaire européenne (ABE) selon laquelle les banques devraient renoncer à toute distribution aux actionnaires (dividendes, rachats, coupons AT1-Additional Tier 1) et à tout paiement discrétionnaire au personnel (primes), devrait être rendue obligatoire tant que les mesures d’allégement sont en vigueur[11].

Alors que nous nous efforçons collectivement de sortir de cette crise, nous devrions peut-être en profiter pour réfléchir à ce que devrait être le critère de référence pour la résilience des entreprises que nous considérons comme essentielles pour le fonctionnement de notre économie – dans le secteur bancaire et au-delà. Devons-nous attendre des banques qu’elles soient à peu près stables par beau temps ou bien qu’elles soient capables de surmonter les crises majeures – et pas seulement celles dont elles sont responsables ? À Finance Watch, nous sommes convaincus que la prise de risque et les rendements privés qui en découlent doivent être correctement alignés, et pas seulement dans les manuels académiques. Aujourd’hui, cependant, la privatisation des profits et la socialisation des pertes semblent toujours être la réponse politique privilégiée.

Christian M. Stiefmüller

[1]  European Commission, Proposal for a Regulation amending Regulations (EU) No 575/2013 and (EU) 2019/876 as regards adjustments in response to the COVID-19 pandemic, COM(2020) 310 (final) of 28 April 2020; and European Commission, Interpretative Communication on the application of the accounting and prudential frameworks to facilitate EU bank lending – Supporting businesses and households amid COVID-19, COM(2020) 169 final of 28 April 2020

[2] Regulation (EU) 2019/876 of 20 May 2019, OJ L150/2019, 07 June 2019, pgs. 1-225

[3] For an overview of IFRS 9 and its relevance for loan loss provisioning see also Finance Watch’s position paper on non‑performing loans

[4]   Regulation (EU) 2017/2395 of 12 December 2017, OJ L 345/2017, 27 December 2017, pgs. 27–33

[5]  Regulation (EU) 2019/630 of 17 April 2019, OJ L 111/2019, 25 April 2019, pgs. 4–12

[6]  European Central Bank, Decision (EU) 2020/440 of 24 March 2020 on a temporary pandemic emergency purchase programme  (ECB/2020/17), OJ L 91/2020, 25 March 2020, pgs. 1-4

[7] European Commission, Communication: Temporary framework for State Aid measures to support the economy in the current COVID-19 outbreak, COM(2020) 1863 of 19 March 2020, OJ 2020/C 91 I, 20 March 2020, pgs. 1-9; as amended by COM(2020) 2215 of 03 April 2020, OJ 2020/C 112 I, 04 April 2020, pgs. 1-9

[8] Art. 107(3) TFEU „The following may be considered to be compatible with the internal market: […] (b) aid […] to remedy a serious disturbance in the economy of a Member State;“

[9]    Art. 107(2) TFEU „The following shall be compatible with the internal market: […] (b) aid to make good the damage caused by natural disasters or exceptional occurrences;

[10] Communication from the Commission of State Aid rules to support measures in favour of banks in the context of the financial crisis, OJ C 216/2013, 30 July 2013, pgs. 1–15

[11] See also the Finance Watch blogpost on conditionality

0 commentaire
Laisser un commentaire
0 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

christian-stiefmueller
Auteur

Christian M. Stiefmüller

Consultant Senior

À propos de l'auteur

Christian travaille avec Finance Watch sur les questions de réglementation bancaire, de Fintech, de supervision financière et de fonds de pensions. En savoir plus

Navigation

Articles associés

Recevoir notre newsletter

Recevoir nos nouvelles les plus importantes en français