Comprendre la réforme des règles budgétaires de l’UE avec le youtuber Heu?reka

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Les règles de discipline budgétaire européenne, suspendues lors de la pandémie, vont être ‘modernisées’ et réactivées. Finance Watch et Greentervention ont travaillé avec Gilles Mitteau (chaîne d’économie Heu?reka) pour mieux vous expliquer les enjeux de cette réforme

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Pourquoi c’est important ?

Les règles budgétaires sont l’une des pierres angulaires du cadre de gouvernance économique de l’UE. En vertu de ce cadre, les États membres sont tenus de maintenir leurs déficits budgétaires en dessous de 3 % du produit intérieur brut (PIB) et leur dette publique en dessous de 60 % du PIB.

Des règles inadaptées au monde d’aujourd’hui

Ce cadre excessivement rigide a été en grande partie responsable des politiques d’austérité dévastatrices qui ont été adoptées après la crise financière mondiale. La réduction drastique des dépenses publiques après la crise de 2008 a en effet entraîné une chute de la demande globale et une baisse de la production économique.

Plus grave, dans sa forme actuelle, le cadre budgétaire nous empêche de progresser vers la réalisation de nos objectifs sociaux et environnementaux. L’UE a aujourd’hui cruellement besoin d’investissements non seulement privés, mais aussi publics :

  • Avant même la pandémie, le déficit d’investissement de l’UE dans les infrastructures sociales était estimé à au moins 142 milliards d’euros par an, et ne cessait de croître.
  • Pour limiter les effets les plus nocifs de l’urgence climatique, la Commission européenne estime que le « déficit d’investissement vert » s’élève à 520 milliards d’euros par an.

Selon Phillip Heimberger, économiste au Vienna Institute for International Economic Studies :

« Nous devons réformer en profondeur les règles budgétaires de l’UE afin de donner aux responsables des politiques budgétaires, qui ont été élus démocratiquement, toutes les chances de relever les défis économiques, sociaux et climatiques auxquels nous sommes confrontés. Il faudra mobiliser beaucoup plus d’investissements publics au cours des prochaines décennies que ce qui a été fait jusque-là, et nous ne pourrons y parvenir en nous cantonnant dans le statu quo des règles actuelles ».

Les règles budgétaires doivent être réformées en affirmant haut et fort que la dette publique n’est pas nécessairement mauvaise pour les générations futures. Bien au contraire, elle peut être essentielle pour financer des investissements publics de grande ampleur, au plus grand bénéfice de ces générations futures.

L’occasion de corriger les règles budgétaires de l’UE

Ce mois-ci, les ministres des Finances de l’UE se réuniront à Bruxelles pour tenter de trouver un accord sur une réforme des règles budgétaires européennes. Le sujet est politiquement explosif, tant les enjeux relatifs à la dette publique sont façonnés par l’histoire économique de chaque pays membre.

La Commission avait fait le choix de suspendre l’application du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) dès avril 2020, au pire de la pandémie de Covid-19. Il devrait être réactivé avant la fin de l’année.

Le PSC donne comme principales règles d’or aux Etats membres d’atteindre une dette publique d’un maximum de 60 % du PIB et un déficit de maximum 3 % du PIB. Si un pays dépasse un de ces seuils, alors des mesures sont prises en concertation avec la Commission européenne pour redresser les dépenses publiques.

Depuis la proposition de la Commission de novembre 2022, des négociations sont entamées pour revoir ces règles, largement perçues comme inadaptées et empêchant les Etats membres de s’engager sur la voie d’une croissance durable.

Vers des trajectoires de réduction de dette adaptées au pays ?

Tous les Etats Membres semblent s’être déjà mis d’accord pour changer d’approche dans les efforts de réduction de dette publique. Contrairement à l’approche uniformisée adoptée en 2011, il faudrait plutôt se rediriger vers des trajectoires de dette spécifiques à chaque pays, en fonction de leurs besoins et réalités économiques.

Mettre cela en pratique, en revanche, est d’un autre ordre et les pays membres n’arrivent pas à se mettre d’accord.

La meilleure option – soutenue par des économistes de renom, dont Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international – consiste à élaborer ces trajectoires spécifiques à partir d’analyses de soutenabilité de la dette propres à chaque pays.

Une analyse de soutenabilité de la dette est comme un test de résistance, ou “stress test”, pour les finances publiques. Elle envisage des scénarios économiques futurs et simule l’impact de chocs économiques de nature différente sur les principaux facteurs de la dynamique de la dette.

Cela permet de mieux appréhender les options dont un pays dispose pour renforcer son économie et ses finances publiques, qui ne passent pas juste par une coupe sèche dans les dépenses publiques. D’autres solutions existent telles que des investissements publics dans des projets d’avenir.

Quel partage du coût de la transition entre générations ?

La dette publique est encore trop souvent perçue comme un fardeau pour les générations futures, un poids financier intrinsèquement mauvais.

Or, ce n’est pas nécessairement le cas.

Les investissements dans certaines infrastructures publiques stratégiques et dans la recherche et le développement (R&D) ont un effet multiplicateur important, stimulant la croissance économique et l’emploi. D’autres dépenses publiques, telles que celles liées par exemple à la politique industrielle verte ou à l’efficacité énergétique, peuvent également nous aider à atteindre nos objectifs de durabilité.

Étant donné leur impact positif sur l’économie, sur la réduction des risques environnementaux et, in fine, sur les finances publiques, ces dépenses publiques ne sont pas un fardeau mais une opportunité pour les générations futures. Elles devraient dès lors être exclues du calcul des plafonds de déficit et de dépenses.

Le financement de ces projets par la dette est un moyen légitime de répartir le coût entre ceux qui en supervisent la création, et ceux, plus tard, qui en bénéficieront.

La peur d’une réaction des marchés financiers: une peur irrationnelle ?

L’argument des pays membres les plus récalcitrants face à une réforme est simple : ils craignent une réaction négative des marchés financiers face à des montants de dette publique jugés élevés dans de nombreux pays Européens.

Mais dans les faits, les marchés financiers font peu attention aux seuils budgétaires arbitraires tels que ceux du PSC. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, les agences de notation de crédit comme Moody’s se soucient moins du ratio dette/PIB d’un pays que de la taille, diversité et puissance de son économie.

Par exemple, les États-Unis et la France, toutes deux avec des taux d’endettement dépassant les 120% de leur PIB en 2020, affichaient respectivement la meilleure et la troisième meilleure cote de crédit possible (AAA et Aa2). En revanche, l’Ukraine, pourtant sous la barre des 60 % en 2020, affichait l’une des cotes de crédit les plus basses (B3).

L’Europe à la croisée des chemins

Le ratio dette/PIB n’est pas un bon indicateur pour évaluer la viabilité de la dette d’un pays et les marchés financiers le savent – il s’agit tout au plus d’une cible politique facilement compréhensible, mais trompeuse. D’autres indicateurs sont nécessaires, et c’est pourquoi l’UE doit s’orienter vers des trajectoires d’endettement spécifiques à chaque pays, fondées sur des analyses précises de soutenabilité de la dette.

Les nouvelles règles budgétaires européennes devront également favoriser ces catégories de dépenses publiques bénéfiques pour l’économie et les finances publiques.

Si nos ministres des Finances ne se montrent pas à la hauteur de la situation en mars, ce sont les futures générations européennes qui en pâtiront.

Ludovic Suttor-Sorel

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