Pourquoi les risques globaux en finance ne sont pas la somme des risques individuels ?

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Quand les risques sont exogènes, les réactions des individus aux anticipations sur ces risques n’amplifient pas les risques. Si cela est le cas en météorologie, c’est différent en finance où la volonté de tous de se protéger contre des risques anticipés décuple les risques globaux. Qu’en est-il ?

N.B. : Cet article est un billet invité tiré d’une chronique de l’auteure sur France Culture : les positions qui y sont prises sont de la responsabilité de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Finance Watch

Dessin de presse – Source: The Economist

Quand les prévisions météorologiques nous indiquent qu’il va pleuvoir abondamment et que chacun sort avec son parapluie, parce qu’il craint la pluie ou dans le langage des économistes a une aversion pour le risque, l’épisode pluvieux ne résulte pas du comportement des agents pour se prémunir des effets de la pluie. En d’autres termes, le temps qu’il fait n’est pas affecté par les prévisions sur celui-ci et par les réactions individuelles que ces prévisions suscitent. Il ne pleut pas parce que tout le monde sort avec un imperméable ou un parapluie. Le risque global de pluie se déterminent ailleurs, il est indépendant de la réaction des acteurs à ce risque. On dit qu’il est exogène.

C’est très différent en finance, si tout le monde cherche à se prémunir de risques anticipés, ce qui revient à ce que tout le monde sorte avec son parapluie ou imperméable si les prévisions disent qu’il va pleuvoir, il ne va pas seulement pleuvoir ça va être le déluge. En finance, ce sont bien les comportements individuels visant à se prémunir des risques annoncés qui les amplifient. Dit autrement, dans les termes de l’économiste, en période de stress financier, le risque n’est plus exogène, il devient endogène c’est-à-dire que ce sont les actions, réactions et interactions des agents de la sphère financière qui créent et amplifient les risques.

On retrouve ici ce que l’on appelle le paradoxe de la liquidité à savoir que la liquidité n’existe que tant qu’elle n’est pas testée. Si tout le monde veut en même temps vendre ses titres pour récupérer de la liquidité ou pour racheter des titres plus sûrs alors la liquidité disparait. On dit que le marché est à sens unique puisque tout le monde veut vendre, personne ne veut acheter, il n’y a plus de contreparties sur le marché et les prix s’effondrent.

Cette propriété est essentielle pour penser et structurer les politiques macroprudentielles c’est-à-dire les politiques publiques visent à assurer la stabilité financière globale et donc à prévenir les crises financières. La difficulté vient du fait que le régulateur a autorisé les banques à utiliser leurs modèles de gestion des risques pour déterminer leur capital règlementaire c’est à dire le poste du bilan qui sert à absorber les pertes non anticipées. Or, les modèles de risque des banques se conforment à la logique des modèles de météorologie c’est-à-dire que les risques sont considérés comme ne résultant pas des comportements collectifs des banques, les risques sont considérés comme exogènes. Ce faisant, les actions prises par chaque banque pour se protéger, en économie nous disons pour se couvrir contre les risques, actions qui sont dictées par leur modèles de gestion des risques homogénéisent leurs réactions et par là même minent la stabilité du système dans son ensemble. Le paradoxe est que les réponses qui semblent optimales au niveau individuel face à la montée des risques ne font que rendre les crises financières plus graves et plus coûteuses collectivement. La conclusion est alors claire : si l’objectif est la stabilité financière globale, c’est une erreur de fonder la régulation financière sur les meilleures pratiques de gestion du risque au niveau individuel. Les pouvoirs publics doivent protéger les banques et plus généralement la finance contre elle-même et cela passe par des politiques publiques qui ne doivent pas être calibrées sur les mêmes données et utiliser les mêmes modèles que les acteurs de la finance eux-mêmes.

Laurence Scialom

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Auteur

Laurence Scialom

Economiste, membre individuelle de Finance Watch

À propos de l'auteur

Laurence Scialom est professeure à l’université Paris-Ouest Nanterre La Défense, membre de l’unité mixte de recherche CNRS EconomiX. Elle a publié de nombreux articles et chapitres d’ouvrage et un ouvrage d’économie bancaire. Elle est très engagée dans le débat public sur les questions relatives à la stabilité financière et aux banques (notes Terra Nova, interventions dans les médias, auditions au Sénat et à l’Assemblée nationale).

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